Lycée inclusif Nongtaaba : De nombreux défis à relever mais un appuie-main pour les élèves handicapés visuels
Installé entre la trame d’accueil de Ouaga 2000 et le quartier Balkuy de Ouagadougou, le lycée inclusif Nongtaaba a dispensé ses premiers cours durant l’année scolaire 2021/2022. C’est un établissement où se retrouvent des élèves dits « voyants », malvoyants et aveugles. Il est un exemple de promotion d’égalité et d’équité entre les élèves malgré toutes les difficultés qu’il rencontre.
En franchissant, le seuil de la porte de la classe de 5e du lycée inclusif Nongtaaba, on ne s’imagine pas qu’il y ait des élèves handicapés visuels. Pourtant, en s’approchant de près, on peut remarquer la différence des cahiers sur certains tables-bancs. À la première table de la deuxième rangée, Grâce Wendkuni Rouamba, tête baissée s’active à noter le cours de sciences de la vie et de la terre. Poinçon à la main et concentrée, elle pointe ce qu’elle entend sur sa tablette de braille posée sur son cahier à spirale. Aveugle depuis toute petite, Grâce Wendkuni Rouamba a tout appris par le braille. La jeune fille a un rythme de notation aussi rapide que sa voisine assise à sa droite, qui écrit au stylo. « Avant de venir ici, j’étais à l’école primaire de l’Union nationale des associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants UN/ABPAM et c’est après mon certificat d’étude primaire (CEP) que je suis venue ici. »
- Grâce Rouamba en train de noter le cours du professeur de sciences de la vie et de la terre
Abdoul Rahim est dans la même classe que Grâce. Le jeune élève a perdu la vue à l’âge de deux ans, suite à une mauvaise prise en charge de ses maux aux yeux. Le sourire aux lèvres, il nous confie qu’il n’a pas de difficultés à suivre les cours à l’exception de celui d’anglais. « Je n’aime pas suivre le cours d’anglais parce que je trouve que c’est compliqué. Mais en dehors de l’anglais je n’ai pas de problème particulier. »
- Abdoul Rahim voudrait devenir artiste musicien plus tard
Comme lui, Esdras Kouraogo en classe de 6e, a des difficultés à suivre les cours d’anglais. Né aveugle, l’élève indique que les cours se passent bien et que les enseignants les aident à suivre.
- Esdras Kouraogo, élève en classe de 6e est né aveugle
Les aveugles et les malvoyants vivent à peu près les mêmes réalités en fonction de leurs capacités d’adaptation. « Je suis malvoyante mais j’arrive à suivre les cours malgré tout. Je note mes leçons en braille aussi parce que je vois floue. » affirme timidement Jeannette Compaoré, élève en classe de 6e. Les élèves que nous avons interrogés affirment en majorité qu’ils se sentent à l’aise avec leurs camarades dits « valides ». L’administration également déclare n’avoir pas constaté de barrière entre les élèves. Le constat aussi est que les élèves malvoyants et aveugles sont assis avec des élèves voyants. En général, les élèves s’entraident pour les cours mais aussi pour faciliter les déplacements de leurs camarades handicapés visuels. « Souvent quand Grace n’entend pas, je répète ce que le professeur a dit pour elle. Je l’aide aussi pour certains exercices » nous fait savoir Marie Josée Tapsoba, voisine de classe de Grace Rouamba.
Des enseignants formés
Le lycée inclusif Nongtaaba possède trois classes dont la 6e, la 5e et la 4e, avec un effectif total de 37 élèves avec 7 handicapés visuels. Grace à sa convention avec le ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation formelle, elle a deux professeurs qui enseignent chacun deux matières. D’autres interviennent en vacation. Benoît Konkobo, enseignant de français, est l’un des deux enseignants permanents. Selon lui, la première difficulté avec les élèves handicapés visuels est la lenteur parfois, dans la prise de note. « Il y a aussi le fait qu’il faille faire retranscrire les exercices et certains devoirs en braille avant que les élèves puissent avoir accès à ça. Par exemple on ne peut pas improviser une lecture avec eux et il faut toujours préparer la transcription en braille avant le cours » explique-t-il. Les enseignants ont la chance de bénéficier de formation sur comment enseigner ces élèves malvoyants et aveugles. « Ces formations nous ont aidé à trouver des astuces pour faire participer les élèves » précise-t-il.
- Benoît Konkobo, enseignant en français et en histoire géographie au lycée inclusif Nongtaaba
Enseignant de mathématiques et de sciences de la vie et de la terre, François Zongo, pense que l’expérience du lycée inclusif malgré sa jeunesse et les difficultés est une réussite. « Nous les suivons au maximum tous les élèves et ils s’en sortent. Ces élèves participent comme les autres et ne restent pas dans leurs coins. L’inclusion est une possibilité et ce lycée en est la preuve. » affirme François Zongo.
Néanmoins, il y a une lenteur dans le processus d’enseignement due au support différent des handicapés visuels. « Pour l’administration des devoirs, on propose des sujets sous formats écrits qui sont envoyés à l’UN/ABPAM pour être transcrit avant que les élèves ne composent. Pour les enseignants qui ne peuvent pas décoder, on renvoi encore à l’UN/ABPAM pour décodage avant de ramener au lycée ici » nous font savoir les deux enseignants dans les échanges.
- Selon l’enseignant en sciences de la vie et de la terre François Zongo, ce lycée est la preuve que l’inclusion est possible
Une absence de manuels adaptés
L’une des difficultés pointées du doigt par les élèves du lycée inclusif Nongtaaba et d’ailleurs, c’est le manque de manuels et livres adaptés à leur handicap. Suivre la lecture ou s’exercer à la maison est alors très compliqué pour eux. Selon Guy Yaméogo, vice-président de UN-ABPAM et proviseur du lycée inclusif Nongtaaba, les élèves en général ont besoin de livres. « Nous avons reçu des livres de maths, de physique-chimie et d’anglais mais malheureusement c’est pour les voyants. » nous dit-il. Cependant, l’UN-ABPAM a une structure chargée de transcrire ces livres en version braille et de les mettre à la disposition des élèves, surtout pour les livres de mathématiques, d’anglais ou d’allemand.
Pour répondre en partie à ce problème, l’UN/ABPAM a reçu des appareils enregistreurs de partenaires qui peuvent enregistrer des leçons ou la lecture en classe. Il y a aussi l’introduction des tablettes électroniques, afin qu’à terme les élèves maîtrisent les outils digitaux. « Effectivement la lecture pose problème. Pour un livre de 100 pages, quand vous voulez le traduire en braille, on peut avoir 20 tomes, donc c’est compliqué. C’est donc avec les appareils électroniques que l’on essaie de pallier à ce problème. »
- Guy Yameogo, proviseur du lycée inclusif Nongtaaba et vice président de l’UN/ABPAM
Pour le proviseur, toutes les solutions n’enlèvent pas le handicap et c’est aux élèves de travailler à se surpasser. « Si les autres travaillent 10% l’aveugle doit travailler peut-être 30 à 40% en plus. Certains de nos élèves le comprennent et se mettent au sérieux pour être à la hauteur de leur apprentissage »
Le sous-effectif mais aussi le manque de moyens
Le lycée inclusif Nong Taaba de Ouagadougou est une initiative de UN-ABPAM qui a germé depuis 2014. Elle a donc approché des partenaires financiers qui interviennent dans le domaine. Ces derniers ont alors accompagné l’UN/ABPAM pour la construction du lycée inclusif Nong Taaba qui a débuté les cours en saison scolaire 2021-2022. « C’est un bâtiment à un niveau avec huit classes aérées dont trois occupées pour le moment » indique le proviseur Guy Yaméogo. Ce dernier aurait souhaité avoir dans chaque classe une quarantaine d’élèves mais pour le moment, il y a un problème d’effectifs des élèves mais aussi et un problème d’enseignants. « Nous voulons voir ce lycée doté à 80 % des enseignants venus de l’Etat. Quand on parle de vacations, il faut des moyens mais quand les effectifs ne sont pas assez étoffés, cela pose problème. »
- L’école a ouvert ses portes durant l’année académique 2021/2022
L’année prochaine le lycée ouvrira une classe de 3e et aura besoin d’assez d’enseignants et de personnels pour assurer la réussite de ses candidats au Brevet d’étude du premier cycle (BEPC). L’Etat les accompagne mais cet accompagnement n’est pas encore à la hauteur des attentes. « Nous demandons qu’il fasse un peu plus et qu’il aide aussi à la visibilité de notre lycée. Nous souhaitons aussi que toute personne de bonne volonté nous aide. C’est un établissement qui vient de commencer et nous n’avons pas encore une administration bien construite comme on le souhaite. » ajoute Guy Yaméogo. Le lycée veut former des élèves, voyants ou pas, avec une mentalité de gagneur pour une transformation sociétale. Cet établissement permet à ces élèves qui ont la chance d’y être inscrits, de s’insérer dans la société et de briser le complexe.
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